La Radio Samigosse

Si toi aussi tu t'ennuies, fais une croix

Préface :

Eh oui, ce n'est pas tous les jours que je poste une nouvelle sur mon blog. Toutefois, ç'aurait été bête de vous faire manquer ça ! Je vous souhaite donc une bonne lecture cauchemardesque (que je déconseille d'ailleurs aux moins de dix ans à peu près, bon j'en vois déjà arriver avec leurs grands sabots du genre "ouais il n'y a rien de choquant là-dedans" mais je le déconseille à qui je veux c'est mon oeuvre non mais oh quoi d'abord !)







Si toi aussi tu t'ennuies, fais une croix


À Caroline, dont le regard perdu m’inspira tant pendant ces longues heures de philo où le plaisir d’apprendre a été remplacé par le bourrage de crâne.



« Je me fais chier T.T »
J’avais toujours admiré l’efficacité des petits mots d’Hélène. Clairs et concis, griffonnés le plus souvent dans la marge de son cahier, elle me les indiquait généralement d’un coup de coude. Ils résumaient toujours à merveille ce sentiment ambiant qui commençait à nous envahir : l’ennui profond. Le léger rire plus ou moins discret qui commença à s’emparer de nous fut assassiner en un quart de seconde par un regard moralisateur et furibond de Barbara. C’était le type de fille qui se prenait parfois pour votre mère, et dont les sourcils froncés semblaient constamment vous brailler « mais vous vous foutez de la gueule du monde vous deux ou quoi ? Le cours a commencé depuis seulement vingt minutes ! »
Dix-neuf minutes pour être précis, remarquais-je en observant ma montre dont le tic-tac discret des aiguilles n’était audible qu’en se la collant à l’oreille. Je m’empressai d’ailleurs de le faire, tout est bon à prendre quand on s’ennuie.
-« Dites-donc, si vous voulez capter des ondes, n’hésitez pas à me demander une antenne. »
Je me rendis compte qu’effectivement, ma position avait quelque chose de légèrement stupide. Je bredouillai aussi sec quelques vagues mots d’excuses au milieu des rires de la classe, rires totalement ignorés par la professeur reprenant son cours. Kant, Descartes, Platon… qu’ils réinventent le monde ou fassent un barbecue, ces gars-là ont toujours eu un pouvoir soporifique surhumain. Comment quelqu’un, même professeur, peut-il s’intéresser à ça ? Comment cette personne peut-elle croire rationnellement pouvoir intéresser avec un truc pareil trente pauvres élèves innocents ? C’est des questions comme ça que l’on devrait poser au baccalauréat. Ah ! Ça y est. Il était seize heure vingt
Dans deux minutes, il allait être dix-huit heures cinquante-cinq. Dans cent vingt secondes, ça sonnerait. Dans mille deux cent dixièmes de secondes, nous allions être libre. L’heure fut longue et douloureuse. Mes yeux étaient passés inlassablement de ma montre à la pendule au-dessus du tableau. Hélène avait craqué, elle était étalée sur sa table comme une vieille serpillière, je l’ai secouée pour voir si elle était encore vivante, mais je n’ai récolté qu’un grognement. Par contre, Barbara gratte toujours au rythme du débit impressionnant de la professeur. J’avais noté un mot sur un dix, et passé le reste du temps a essayé d’imaginer le temps qu’il pouvait faire dehors, toutes les fenêtres de notre classe étant condamnées. Il restait dix secondes, ça me semblait le bout du monde, j’avais les paupières lourdes qui tentaient de se refermer sur mes yeux fixés sur la pendule de la classe, je réprimai un ultime bâillement. Cinq. Quatre. Trois. Deux. Un. Deux. Quoi ?
Je cligne plusieurs fois des yeux. Je n’ai pas déliré. L’aiguille vient de partir à l’envers. Elle vient de s’élancer en sens inverse sur le cadran, au même rythme qu’habituellement. Il n’y a pas eu de sonnerie. Pourtant cet après-midi encore, elle fonctionnait parfaitement. Il était maintenant dix-huit heures cinquante-quatre, et la prof continuait inlassablement à débiter son cours. Je me retourne, je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué, la moitié de la classe affiche un rictus d’incompréhension. Dimitri lève la main. Toujours à coté du chauffage, ce gars était l’exemple typique de celui qui vient juste parce que c’est obligatoire. Pour tout dire, je ne l’ai jamais vu prendre une seule note.
-« Vous voulez nous rappeler en quoi consiste la thèse existentialiste de Sartre, Dimitri ? »
-« Pas vraiment madame. C’est juste pour vous dire que ça a sonné depuis deux minutes. »
Elle se retourne vers la pendule d’un geste machinal.
Dans deux minutes. Ne jouez pas avec les mots s’il vous plait, et reprenons. »
-« Oui mais non, parce que, c’est-à-dire qu’en fait l’heure va à l’envers… depuis deux minutes. »
Un ange passe, suivi rapidement de la remarque sarcastique de la professeur comme quoi, à l’envers ou à l’endroit, son carnet de correspondance va vite se retrouver sur son bureau s’il ne se calme pas. Puis elle reprend son cours, accompagnée des élèves comme Barbara visiblement toujours aussi passionnée par ce qu’elle raconte.
On a tous passé environ dix minutes à attendre que la professeur s’écrie que c’était une blague, une caméra cachée ou je ne sais quelle stupidité. Rien du tout. J’ai secoué un peu brusquement Hélène. Mgrmgn ! Je l’ai secoué plus brusquement.
-« Mais-euh… » bâille-t-elle à s’en décrocher la mâchoire. « Je dormais bien. Qu’est-ce qu’il se passe ? »
J’ai décoché un large sourire d’excuse à la professeur en guise d’excuse pour le volume sonore abusé avec lequel Hélène venait de s’exprimer. J’ai essayé de lui expliquer, mais elle ne m’a finalement cru qu’une fois la fameuse aiguille farceuse aperçue.
-« Qu’est-ce que… »
-« Chut !!! »
-« Qu’est-ce que c’est que ce délire ?! »
-« Je ne sais pas. Mais c’est aberrant. »
-« Une seule solution : se rendormir ! » conclut-elle avant de se plonger à nouveau la tête dans les bras. Tête qu’elle releva après une minute d’attente de ma part durant laquelle j’écoutais atterré l’ego cartésien être expliqué par la bouche de la professeur.
-« C’est malin, j’ai trop récupéré, j’arrive plus à me rendormir. »
Nous passâmes quelques minutes à regarder dans le vide, les mots de la professeur entrant par une oreille pour ressortir par l’autre. Hélène m’expliqua que si je l’avais laissée roupiller, je lui aurai évité pas mal d’emmerdements. Une foule de chuchotements commençaient à s’élever dans la classe. Elle monta crescendo, comme si tout le monde trouvait que la plaisanterie avait assez duré, les plus courtes étant les meilleures. Probablement pas l’avis de la professeur qui nous hurla de cesser immédiatement ce vacarme et qu’on pourrait parler entre nous à la pause, ce qui fit marrer pas mal d’élèves.
Les minutes qui suivirent furent très, très, très dures à supporter. Je pensais habituellement qu’on ne pouvait pas plus s’ennuyer que lors d’un cours de philosophie. J’avais tort. Un cours qui, en plus, n’a pas de raison d’être, est bien pire. Alors que les informations que nous balançait la professeur semblaient d’habitude juste totalement inintéressantes et barbantes, celles-ci, de par leur absurdité totale, semblaient être de véritables punitions. Socrate et ses apôtres me tapaient sur le système au sens propre comme au figuré. Comme si leurs citations trop longues pénétraient dans ma cervelle et l’emplissaient petit à petit pour finalement les faire exploser. Dix-huit heure dix. C’était insupportable. La sonnerie de dix-huit heures avait fonctionné il y a deux heures, pas de doute. Pour toute la classe, hormis Barbara, c’était la corde de sortie. Nous priions tous pour que l’aiguille accélère sa course inversée. À nouveau, nos yeux étaient tous rivés sur la pendule. Cinq minutes. Deux minutes. Cinq secondes. Deux secondes. Rien.
Ça n’a pas sonné. L’aiguille part maintenant vers les dix-sept heures. Non. Non, non et non.
-« Merde ! »
Dimitri vient de pousser violemment sa table.
-« C’est quoi ce délire putain !? J’en ai ras-le-cul, je me casse ! »
D’autres élèves décident de se lever avec lui, eux aussi à bout.
-« Rasseyez-vous tout de suite ! Donnez-moi votre carnet ! »
L’ignorant totalement, le groupe se dirige vers la porte et abaisse la poignée. Bloquée. Ils secouent la porte, mais rien n’y fait.
-« Rasseyez-vous immédiatement ! »
-« Laissez-nous sortir ! Vous n’avez pas le droit ! »
-« Il est seulement dix-huit heures, retournez à votre place ! »
-« Il n’est pas dix-huit heures mais vingt heures madame ! » s’écrie un délégué qui semble paniquer. « Que votre pendule le veuille ou non ! »
-« Donnez-moi votre carnet ! »
Dimitri prend un peu d’élan puis fonce sur la porte dans laquelle il décoche un formidable coup de pied ne changeant absolument rien. La professeur continue d’hurler, tout le monde commence à s’inquiéter.
-« Vous voulez jouer à ça ?! »
Dimitri ne se calme pas, va d’un pas décidé attraper une chaise et la jette contre une fenêtre.
Aucun débris de verre ou de la planche de bois qui condamne la fenêtre. La chaise s’était cognée à celle-ci comme à un mur, était retombée sur une table puis au sol en emportant quelques trousses et cahiers dans un vacarme sourd. L’unique bruit que nous avions désormais dans nos tympans était cet étrange sifflement aigu qui résonne dans les longs silences. Tout le monde s’est retourné lentement vers la professeur dans l’attente d’une explication un tant soit peu rassurante. « Donnez-moi vos carnets et allez vous rasseoir » dit-elle d’un ton sec. Tu le veux mon carnet ?! beugla en réponse Dimitri en s’avançant vers elle. Il avait ce regard de l’animal à la fois fou et apeuré, qui vient de comprendre que malgré ses coups de griffes, les barreaux ne céderaient pas. Il l’aurait frappée, il l’aurait battue, il l’aurait étranglée, mais ça ne lui laissa pas le temps. Telle une marionnette dont on lâcherait soudainement les fils, Dimitri s’écroula au sol sans qu’aucune partie de son corps ne réagisse. Son corps resta ainsi étalé au sol je ne sais combien de temps sans qu’un aucun mouvement ne l’agite, juste des espèces de cris étouffés. Ce fut vraiment lâche de ma part de mettre autant de temps à réagir. Il fallut attendre que j’aperçoive une flaque de sang venant de son visage pour que je me lève, presque par réflexe, et aille le relever. Ses jambes ne lui servaient plus à rien, ses bras se balançaient dans le vide, son nez cassé pissait le sang qui coulait jusqu’à sa bouche, noyant ses hurlements qui semblaient ceux d’une poupée au mécanisme cassé. Finalement, d’autres élèves s’attroupèrent autour de nous deux. Sa voisine de table m’aida, toute tremblante, à le remettre à sa place. Puis tout le monde alla se rasseoir, le bruit de nos pas n’étant couvert que par le fou rire nerveux qui venait de saisir Hélène. La professeur nous a demandé de nous taire, nous nous sommes tus, le cours a repris.
Ça peut paraître drôle, mais on a tous commencé à prendre des notes sagement. C’était des gestes totalement instinctifs, troublés par les tremblements qui nous agitaient tous. Même Barbara était agitée de tics et avait des larmes glacées qui lui coulaient sur les joues.
Au bout de vingt minutes, j’ai commencé à reprendre le contrôle de moi-même et j’ai lâché mon stylo. Le plus flippant est que la professeur ne m’a rien dit. On était dans un cours habituel. Totalement habituel. La professeur récitait son cours normalement, le bruit des stylos grattant les feuilles s’entendait de toute part, la lampe artificielle cassée clignotait frénétiquement au-dessus de nous, j’ai eu envie de parler à Hélène mais on a eu droit à un « si vous avez quelque chose d’intéressant à dire, n’hésitez pas à en faire profiter la classe », je prenais quelques notes pour faire semblant que j’écoutais le cours, il m’a même manqué de l’encre et j’ai dû changer de cartouche. Pendant que je dévissais mon stylo, je sentais que la peur s’effaçait pour redonner place à l’ennui. S’il suffisait de ne pas agresser la prof, je ne risquais pas de finir dans l’état d’assisté de Dimitri qui avait arrêté d’émettre des sons depuis quelques instants, et, immobile, était forcé de suivre le cours comme tout le monde. L’aiguille s’était arrêtée à seize heures avant de repartir dans le bon sens. Nous étions tous bloqués. Nous n’avions ni faim ni soif. Nous nous ennuyions juste terriblement. J’ai mis ma main dans ma trousse. Et là, je l’ai sentie plongée dans un océan d’objets diverses. Je l’ai retirée, j’ai choppé ma trousse et je l’ai retourné dans les airs. Un raz-de-marée de stylos, cartouches, effaceurs, crayons à papier et autres a déferlé depuis la fermeture éclair entrouverte, sans s’arrêter, jusqu’à ce qu’au bout d’une minute je remette ma trousse à l’endroit. J’en avais plein ma table et mes pieds. Personne n’y avait prêté attention, sauf Hélène dont les yeux étaient ronds comme des soucoupes. Le reste de la classe ne cherchait même plus la logique des choses, et écrivait machinalement, plus ou moins selon l’élève. Hélène fouilla dans son cartable et en ressortit notre gros livre de philosophie. Elle commença à tourner les pages. Et plus elle tournait, plus il y en avait. Deux cent cinquante-six… trois cent quatre-vingt quatorze… cinq cent deux… sept cent quatre-vingt neuf… Les numéros de page défilaient sous nos yeux sans arrêt. On pouvait refermer le livre. Mais aussi improbable que cela soit, on ne pouvait pas arriver à la dernière page. Finalement, elle arrêta d’aller de plus en plus loin et le referma. Il n’y avait plus rien à faire. Tous les mots de la professeurs semblaient se répéter inlassablement, et je m’ennuyais, je m’ennuyais, je m’ennuyais, je m’ennuyais, je m’ennuyais, je m’ennuyais. Je me suis endormi.
J’ai été réveillé par une feuille tombée sur ma tête. Je levai la tête, la professeur était déjà au bout de la rangée à continuer à distribuer ses feuilles et parlait comme si de rien n’était. Mon premier réflexe fut de regarder ma montre. Mais oui ! Ma montre. Est-ce qu’elle était aussi « prisonnière du temps » ? Trois heures quarante-sept. Je regardai avec espoir la pendule de la classe. Seize heures treize. Ma montre était donc en réalité mon unique attache hors de ce cauchemar. Je saisis la feuille qu’on venait de nous distribuer. « Obéir aux lois, est-ce renoncer à la liberté ? Vous avez quatre heures, bonne chance. » Qu’est-ce que je devais faire ? Je n’avais seulement que quelques connaissances approximatives à ce sujet. Fallait-il prendre le risque de ne rien faire ? Personne n’osa dans la classe. Il était sept heures quarante-sept à ma montre lorsque la professeur ramassait les dernières copies. Puis, aussitôt, elle nous demanda de ressortir nos cahiers et de prendre des notes. Le cours reprit.
J’avais tort. L’ennui n’est pas juste un sentiment destructeur. C’est une torture, un supplice. Une douleur indescriptible aussi physique que morale. D’après ma tocante, nous avions alors passé une journée d’école normale, soit huit heures-dix-neuf heures, dans la même salle, à écrire et écrire. Nous ne ressentions toujours ni faim ni soif, juste l’ennui. Hélène, sur son cahier, dessinait des illustrations qui me permirent quelques sourires. Il y avait pleins de bonhommes avec nos coupes de cheveux qui se suicidaient de pleins de manières différentes et hurlant des « j’en ai marre !! », « libérez-nous !! » et autres. Je sentais mon corps s’amollir. Comme s’il m’ordonnait de me lever, de bouger, comme si cette immobilité me compressait petit à petit sur moi-même.
Huit sur vingt. Votre méthode est bonne, mais révisez vos bases. Les notes sont tombées une à une sur nos tables. C’était absurde. Ce matin, elle avait ramassé les feuilles, les avait posées sur son bureau et n’y avait pas touché de la journée. Comment ces corrections avaient-elles pu s’inscrire sur la copie ? Ça ne gênait visiblement pas la professeur qui distribuait toutes les copies, jusqu’à s’arrêter soudainement avant de donner la dernière.
-« Et maintenant, la meilleure note de la classe : Barbara, dix-huit sur vingt ! Bravo Barbara. »
-« Oui bravo ! »
Nous nous retournâmes tous. La voix venait de derrière. Une voix très grave et rauque. La porte. La porte était ouverte. La voix venait de là. Personne n’osa en profiter pour essayer de sortir. On s’imaginait tous un gigantesque bonhomme dont les bras musclés auraient du mal à entrer. Mais pas du tout. Ce fut une espèce de grande tige, un type d’environ deux mètres tout maigrelet qui arriva. Il était blond et ses yeux étaient d’un bleu éclatant. Il s’approcha de la professeur et saisit la copie. On s’en voulait tous de ne pas avoir les couilles de sortir en courant, la porte grande ouverte. Mais à quelques mètres de celle-ci se tenait l’immobile silhouette de Dimitri qui s’était remis à pousser des cris animaux.
-« C’est excellent tout ça cocotte ! Allez, range tes affaires et suis-moi. »
Barbara ne se fit pas prier, et cela était sûrement plus par peur que par tout autre sentiment. Elle suivit cet étrange énergumène, alla dans le couloir avec lui, et il referma la porte après nous avoir jeté un clin d’œil suivi d’un « soyez sages et travaillez bien ». À la simple vue de la porte, nous devinâmes que peu importe les efforts que nous ferions, celle-ci serait à nouveau infranchissable.
Tous les cinq jours, nous eûmes droit à d’autres contrôles. Malheureusement, les résultats ne furent visiblement jamais assez satisfaisants pour que l’on vienne faire sortir l’un d’entre-nous d’ici. Le reste du temps, nous avions cours. Combien de minutes, d’heures, de jours passâmes-nous ainsi ? Je ne mesurais plus que rarement le temps avec ma montre, mais le faisais surtout avec mon propre dépérissement. J’avais l’impression que chaque jour, je gagnais dix ans de plus. J’avais mal partout, mes muscles gémissaient et en même temps, je sentais mes forces disparaître petit à petit. L’ennui allait me tuer. Il dévorait déjà Hélène. Ses messages à mon égard griffonnaient sur son cahier se raréfiaient. Ces personnages couraient dans les rues, casser des murs de leurs propres mains. Et puis surtout, il y avait ce dragon. Il revenait un dessin sur deux. Il brisait les fenêtres de la classe, tous les élèves montaient sur son dos, et il s’envolait haut dans le ciel. Et je voyais à ses regards perdus dans le vide vers les fenêtres condamnées qu’elle attendait le dragon, qu’elle y croyait de plus en plus. Et soudainement, la professeur tapait sur la table, elle revenait à la réalité, et je la laissais tenter vainement de rattraper son retard en copiant sur mon cahier.
Au bout de plusieurs semaines, j’ai commencé à suivre les cours. À me focaliser sur chaque mot de la professeur. L’ennui m’y forçait. Un élève n’écoute jamais de plein gré, il capitule. Il n’a que deux choix : écouter ou se laisser tuer d’ennui. Le couteau sous la gorge, j’ai abdiqué. Mes prises de notes étaient devenues agréables à lire. Rien ne m’échappait, je comprenais tous les sujets et levais la main de plus en plus. Durant les contrôles, j’étais beaucoup plus confiant. D’ailleurs, mes notes s’amélioraient, et j’en étais très fier. C’est très plaisant d’étudier lorsqu’on s’intéresse un minimum à ce que l’on fait.
La professeur m’a rendue ma copie. Quinze. Ma meilleure note. Elle avait mis « peut mieux faire » et j’étais tout à fait d’accord. Mais je savais très bien ce qui m’avait gêné. Durant tout le contrôle, Hélène avait fait chier toute la classe sans même s’en rendre compte, en retirant et remettant le bouchon de son stylo-plume dans un cliquetis infernal. Pourrait-on refaire un contrôle madame ? Là, maintenant. Je veux vous prouver que je vaux mieux que ça. Elle accepta. De nul part, elle nous sortit d’autres copies qu’elle distribua à tous. Je fis un devoir excellent. La règle était simple : ne te laisse déranger par rien, reste fixé sur ton objectif. J’avais même vu le délégué tricher et l’avais oublié aussi vite. Je ne pourrai dire combien d’heures plus tard la professeur nous rendit les copies. Ma montre ne fonctionnait plus, plus de piles, tant pis, de toute manière je pouvais utiliser habilement les trois heures de la pendule pour m’organiser durant les contrôles. Bref, je pris mon devoir entre les mains. Dix-huit ! Oui ! Je les avais eu !
-« Je suis très fière de vous annoncer qu’un autre de vos camarades va être cherché. »
Fier comme un paon, j’attendais qu’elle m’appelle. Mais c’est le délégué qu’elle nomma. Ce crevard avait eu dix-neuf.
-« Non madame ! Il a triché ! » m’écriai-je aussitôt.
-« Comment ? »
-« Je peux vous l’assurer, je l’ai vu sortir une anti-sèche de sa trousse durant l’interrogation ! »
« Je vois. Tu as bien mérité un point en plus. »
Le grand blond rentra brusquement dans la classe. Il alla me voir en souriant et me dis « lève-toi, on y va ». Je rangeai mes affaires et me levai, rayonnant. Alors que je passais une dernière fois entre ces tables, je vis mon guide jetai un regard furieux sur le délégué qui le méritait bien. « Travaillez bien » dit-il en posant sa main sur la poignée. La dernière image que j’eus de la classe fut le délégué s’écroulant sur sa chaise.
Dieu comme le couloir était lumineux. La lumière semblait presque d’or. Seuls les escaliers sur le coté des extrémités du couloir semblaient peu éclairés. Heureusement, nous n’y allâmes pas. Je suivis mon guide, débordant d’impatience de savoir où il m’emmenait. C’est finalement devant une porte en bout de couloir qu’il s’arrêta. « Voici ta nouvelle demeure » me sourit-il en ouvrant la porte. Je fus tout d’abord aveuglé par les rayons du soleil qui dépassaient des fenêtres. Non, celles-ci n’étaient pas condamnées. Et c’était tout. C’était l’unique différence. Quelqu’un parlait à une dizaine d’élèves, dont Barbara, qui retranscrivaient soigneusement les dires. J’ai eu un haut-le-cœur indescriptible, mais je ne trouvais que de la bile à recracher. Tout est devenu atrocement flou. Je me suis retourné et, sans même réfléchir, j’ai couru vers les escaliers. Je crois que quelqu’un a crié, mais je n’en suis pas sûr. Tout était soudain sombre et confus, je descendais les marches à un rythme fou, mais elles semblaient aussi interminables que les pages du livre. Au loin, une porte. J’ai pensé à Hélène. À Dimitri, à Barbara, au délégué, à tous les élèves. J’ai juré que si j’arrivais à sortir, je reviendrais un jour, les sauverais tous et fouterais le feu à ce Guantánamo junior. J’ai poussé la porte. Libre.

7 commentaires:

  1. Vraiment très bien écrit mister !
    Très agréable à lire, bravo bravo !

    Ca donne envie de dessiner ! Et de suivre les cours... xD

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  2. Genre : Un gamin de 10 ans va venir sur ton site.
    Un gamin de 10 ans va comprendre ton texte.
    Un gamin de 10 ans va avoir peur en le lisant.
    x)

    Sinon, je trouve que la fin... est un peu rapide ne trouves tu pas ? Je m'attendais à + d'inertie. En 3 phrases il sort et c'est la fin de la nouvelle. Alors que justement tu joue sur l'idée que c'est long et sans fin, celle ci est un peu trop rapide à mon goût...
    Après, ce n'est que mon humble avis, mais je serais honoré que tu m'explique ce choix =)

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  3. Je m'y attendais à celle-là sur le gamin de 10 ans. xP Eh bien interdiction de lire cette histoire à votre petit frère, c'est tout !

    Et pour la fin... tu sais mieux que moi pourquoi j'ai choisi de la faire si brève ;)

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  4. Déçu... je croyais que c'était moi le super fan...

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  5. Oh monsieur Joyeux ! Vous avez tellement la classe *_*

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  6. Ce n'est rien petit ! Crois-en tes rêves et tu deviendras toi aussi un winner !

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  7. Atroce ! Quelle angoisse ! J'aime beaucoup le style, en tout cas.

    Dis donc, BARBARA, ce serait pas... ?

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